Trump inflige un Libération Day dévastateur aux marchés financiers.
Le début avril 2025 restera comme un moment charnière, marqué par un regain brutal de tensions géopolitiques, des annonces économiques majeures, et le virage protectionniste annoncé mais dévastateur des Etats-Unis. L’annonce le 2 avril par les États-Unis de l’instauration effective de droits de douane de 25 % sur les importations canadiennes et mexicaines, de 20 % sur l’Europe, et l’escalade immédiate vis-à-vis de la Chine a ravivé les craintes que la guerre commerciale ne précipite le monde dans une période de récession et d’inflation. Les mesures de rétorsion immédiates de Pékin, Ottawa et Mexico n’ont fait qu’accentuer le climat d’incertitude, provoquant une onde de choc sur les marchés financiers mondiaux.
États-Unis : Le retour affirmé du protectionnisme
Dévoilée symboliquement le jour du Liberty Day, la nouvelle salve tarifaire américaine n’a rien d’improvisé. Elle repose sur une formule tarifaire cohérente, calibrée pour frapper fort et vite sur les segments les plus stratégiques : semi-conducteurs, batteries, composants électroniques, véhicules électriques. Les droits de douane sont portés jusqu’à 145 % sur certaines importations chinoises. Cette approche, bien que spectaculaire, s’inscrit dans une triple logique :
- Industrielle : ramener sur le sol américain une partie des chaînes de production jugées stratégiques, sécuriser les approvisionnements dans les technologies critiques et réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine.
- Commerciale : corriger un déficit structurel de la balance commerciale avec Pékin, perçu depuis longtemps comme un déséquilibre systémique.
- Fiscale : générer de nouvelles recettes pour financer une réduction d’impôts ambitieuse sur dix ans
- Financière : Un des objectifs clés de ce mouvement est de faire baisser les taux d’intérêt (yields). Une grande partie de la dette américaine arrive à maturité, nécessitant un refinancement massif. En abaissant les taux, cela permettrait de réduire significativement le coût de ce refinancement et donc la charge d’intérêts pesant sur le budget fédéral. C’est dans ce contexte que Donald Trump exerce une pression constante sur Jerome Powell, président de la Fed, afin qu’il abaisse les taux directeurs, facilitant ainsi une politique de refinancement plus accommodante pour l’État.
Cette stratégie repose sur la résilience supposée de l’économie américaine. Toutefois, elle n’est pas sans risques : en renchérissant le coût de certaines importations stratégiques, ces mesures pourraient raviver les pressions inflationnistes à un moment où la Réserve fédérale tente justement de stabiliser les prix. Le pari est donc double : gagner en autonomie sans relancer l’inflation, tout en engageant une confrontation ouverte avec un partenaire commercial toujours central dans les chaînes mondiales.
La Chine contre-attaque : fermeté économique et avantages structurels
La réponse chinoise est immédiate, structurée et résolue. Pékin annonce des tarifs symétriques allant jusqu’à 125 %, visant des produits agricoles, énergétiques et aéronautiques américains : soja, hydrocarbures, avions civils. « Chantage », dénonce officiellement la Chine, promettant de « se battre jusqu’au bout » si les États-Unis poursuivent leur escalade.
Mais au-delà des annonces tarifaires, la Chine s’appuie sur des avantages structurels profonds qui renforcent sa position dans cette confrontation commerciale :
- Une supériorité technologique difficile à contourner : La Chine détient un rôle central dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier sur les segments les plus complexes de l’industrie technologique. Elle exporte des composants essentiels à haute valeur ajoutée – semi-conducteurs, équipements de télécommunications, machines industrielles complexes – indispensables aux chaînes de production américaines.En comparaison, les exportations américaines vers la Chine sont souvent plus basiques et facilement remplaçables, notamment dans les domaines de l’agriculture et de l’énergie. Cette asymétrie commerciale crée une dépendance structurelle des États-Unis vis-à-vis de l’appareil productif chinois, donnant à Pékin un net avantage tactique en période de tension.
- Une stratégie financière capable d’influencer les équilibres monétaires : Ces dernières semaines, certains investisseurs étrangers – potentiellement des fonds souverains chinois – ont initié des ventes massives d’obligations américaines (T-bonds), tout en réallouant leurs capitaux vers des actifs européens, notamment les obligations allemandes (Bunds).Ce mouvement provoque un double effet sur les marchés : d’une part, la vente de T-bonds fait chuter leur prix, ce qui entraîne une hausse mécanique des taux d’intérêt américains ; d’autre part, la conversion de dollars en euros pour acheter des actifs européens contribue à affaiblir le dollar (USD) et à renforcer l’euro (EUR). Pékin envoie ainsi un signal clair : la Chine peut aussi exercer une pression sur la stabilité financière américaine, sans recourir uniquement aux tarifs douaniers.
- Une diplomatie économique tournée vers l’Europe : La Chine multiplie les initiatives pour renforcer ses relations commerciales avec l’Union européenne, notamment autour de l’accès des véhicules électriques chinois au marché européen et des normes environnementales. Ces efforts visent à compenser les pertes sur le marché américain, tout en exploitant les divisions stratégiques au sein de l’UE. Toutefois, les tensions persistent autour des subventions industrielles et des déséquilibres commerciaux.
L’Europe : entre relance économique et vulnérabilité commerciale
Face à l’escalade tarifaire entre les États-Unis et la Chine, l’Union européenne apparaît en position d’exposition plutôt que d’influence. À la fois dépendante de ses partenaires commerciaux et divisée sur la stratégie à adopter, l’Europe tente de préserver sa dynamique interne tout en absorbant des chocs géopolitiques croissants.
Sur le plan intérieur, plusieurs États membres ont lancé des initiatives de soutien à l’économie :
- En Allemagne, l’arrivée au pouvoir de Friedrich Merz s’est accompagnée d’un plan de relance de 500 milliards d’euros, ciblant la transition énergétique, les infrastructures et la défense.
- Au Royaume-Uni, Rachel Reeves a présenté un programme d’investissements dans les infrastructures, avec un objectif similaire de modernisation et de soutien à la croissance.
Ces mesures illustrent une volonté claire de réarmement économique, mais elles restent décorrélées des tensions commerciales internationales actuelles. En parallèle, l’environnement extérieur devient plus contraint.
Les droits de douane américains sur les produits européens – notamment dans l’acier, l’aluminium et l’automobile – sont toujours en vigueur, malgré des suspensions partielles. Ils représentent environ 52 milliards d’euros de taxes annuelles, avec un impact significatif sur des économies exportatrices comme l’Allemagne et l’Italie.
Mais au-delà de l’impact économique, c’est la désunion stratégique au sein de l’UE qui limite sa capacité d’action :
- La France appelle à une réponse plus ferme, fondée sur la réciprocité commerciale, la défense de l’industrie stratégique et la mise en place de contre-mesures tarifaires.
- L’Allemagne, dont la prospérité repose sur les excédents commerciaux, adopte une position plus prudente, privilégiant la modération pour éviter une escalade aux effets incontrôlables sur ses exportations.
Enfin, les relations entre l’UE et la Chine se tendent. Bruxelles s’inquiète notamment du rôle joué par Pékin dans le contournement des sanctions occidentales à l’égard de la Russie. Il est estimé qu’environ 80 % des biens à double usage exportés vers la Russie transitent aujourd’hui par la Chine. Cette situation renforce la méfiance vis-à-vis de Pékin et ravive les tensions sur fond de déséquilibres commerciaux persistants.
L’œil de Montségur Finance
La correction récente des marchés s’apparente à une crise boursière, non financière. Si la violence des sanctions a provoqué une forte déstabilisation des indices actions et une montée du stress sur les marchés dérivés, les marchés obligataires et interbancaires restent fonctionnels et stables. Le délai de 90 jours pour les négociations semble long, et les États-Unis ont intérêt à accélérer la sortie de crise pour relancer leur économie. Un accord rapide pourrait permettre un rebond technique sur des marchés survendus.
Côté valorisation, les actions américaines se sont normalisées, tandis que l’Europe reste sous ses moyennes historiques, avec un potentiel de rattrapage accru. Les baisses de taux attendues de la BCE et le plan de relance allemand devraient apporter un soutien supplémentaire aux marchés européens